Une profession en pleine évolution

Soins infirmiers et football, innovations issues de la science et de la pratique, mais aussi retour significatif aux valeurs traditionnelles: comme le Congrès suisse des soins infirmiers l'a clairement montré, la profession est en phase avec son temps et en pleine évolution.

Texte: Martina Camenzind / Photos: Martin Glauser

«Les médecins étaient bien. Mais ce sont les infirmières et infirmiers qui m'ont vraiment impressionné.» C'est par ces mots d'une connaissance hospitalisée pour un infarctus qu'Anne Lévy a ouvert le Congrès suisse des soins infirmiers de cette année. La directrice de l'Office fédéral de la santé publique a souligné que les soins infirmiers sont visibles: «Vous accomplissez un travail important qui est reconnu.» Pas seulement par la population, mais aussi par l'OFSP. La première keynote était consacrée au thème «Rester dans le coup – dans le sport comme dans les soins». Un choix inscrit dans l'actualité du Championnat d'Europe féminin de football qui se déroulera en Suisse en juillet (pour découvrir les parallèles entre soins infirmiers et football, rendez-vous p. 17).

Anne Lévy a admis qu'elle n'est pas très à l'aise avec les «métaphores sportives», mais qu'elle relevait le défi. L'ASI «joue en ligue nationale», comme l'a montré le succès de l'initiative sur les soins infirmiers. Et «le ballon est dans le but» pour la 1ère étape de la mise en oeuvre. L'offensive en matière de formation est en vigueur depuis le 1er juillet 2024. Tous les cantons ont déposé des demandes de financement et 72 mio de francs de la contribution fédérale ont déjà été alloués. Le monitorage national des soins infirmiers est en cours et recueille des données détaillées qui permettront de mesurer l'efficacité des mesures. 

«Un match difficile»

Mais la 2e étape de la mise en oeuvre sera «un match difficile». La consultation sur le projet du Conseil fédéral a montré des divergences importantes entre les employeurs et les employés, et que les cantons sont également sceptiques (p. 9, Bloc-notes) Anne Lévy a souligné que des améliorations sont déjà visibles. Les institutions ont mis en place de nouveaux modèles de temps de travail et les employés ont leur mot à dire dans la planification des services. Il est toutefois clair pour elle qu'il n'existe pas de solution unique pour tous. Outre la mise en oeuvre de l'initiative, les soins infirmiers constituent un autre axe prioritaire de la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, notamment dans le cadre de l'agenda pour les soins de base. Il s'agit de créer des modèles innovants dans lesquels les infirmières, notamment les APN, et les autres professions de la santé puissent interagir de manière judicieuse. Là encore, l'ASI a son mot à dire: «L'équipe infirmière est une équipe forte».

«Rester dans le coup» dans les cantons

Avec Barbara Gysi, c'est une militante engagée en faveur des soins infirmiers qui était invitée le vendredi. La Conseillère nationale, présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique et membre d'honneur de l'ASI, a dit qu'elle ferait tout son possible pour obtenir une majorité au Parlement afin que l'initiative soit pleinement mise en oeuvre, même si cela ne sera pas facile. «Votre profession a un fort caractère humaniste» et c'est ce qui lui donne le courage et l'énergie de s'engager en faveur des soins infirmiers, surtout à une époque où le monde «est plutôt sombre».
En Suisse, les cantons sont responsables des soins de santé. «Il est donc extrêmement important que vous restiez mobilisés
à ce niveau!», a-t-elle lancé au public, en rappelant que «La population est derrière vous!» Elle l'a démontré lors de la votation sur l'initiative sur les soins infirmiers et l'a réaffirmé dans son canton de Saint-Gall, où l'offensive en matière de formation a été acceptée à une large majorité de 88%. «Vous avez le pouvoir! N'ayez pas peur de l'utiliser!»

Actifs, orientés vers les solutions, innovants

«Vous êtes dynamiques, actifs, orientés vers les solutions et innovants»: cette constatation d'Anne Lévy a été le fil rouge du programme de tout le congrès. Les quatre keynotes, les sessions, les ateliers et l'exposition de posters ont clairement montré à quel point les soins infirmiers sont en constante évolution. L'accent a été mis sur les besoins de la population, mais pas seulement: des méthodes innovantes en matière de formation initiale et continue ont également été présentées, ainsi que l'engagement des entreprises en faveur de meilleures conditions de travail, l'utilisation des outils numériques, le design et l'IA, et bien d'autres choses encore. Ces deux journées ont ainsi offert un panorama d'une profession et d'un secteur en mutation.

N'oubliez pas votre propre contribution

Il ne s'agissait toutefois pas de mettre les infirmières sur un «piédestal». Plusieurs contributions ont clairement montré que de bonnes conditions de travail ne dépendent pas que des conditions-cadres ou de la direction. Il est apparu que les institutions ont entendu le message et s'efforcent d'offrir à leurs soignants de meilleures conditions et des outils utiles. Le groupe lucernois LUKS en est un exemple: avec son modèle «Unit Pflege», il souhaite redonner des responsabilités aux infirmières et infirmiers, un sens à leur travail et du temps pour les patients, tout en exploitant mieux leurs compétences (p. 16).

Mais la satisfaction au travail dépend aussi de la culture au sein de l'équipe et de l'institution. Angela Schnelli a montré qu'il y a là un potentiel d'amélioration et abordé des vérités désagréables: les soignants sont confrontés à la violence et à l'agressivité non seulement de la part des patients, mais aussi de leurs collègues et de leurs supérieurs, sous forme de harcèlement, de brimades ou de minimisation des expériences en réalité inacceptables («C'est comme ça, il vaut mieux t'y habituer»; voir encadré p. 13).
Elke Steudter (Haute école Careum) et Antoinette Conca (Hôpital cantonal argovien) ont donné des clés pour surmonter ces mécanismes néfastes: «Comment les soins centrés sur la personne favorisent la culture d'équipe». L'approche centrée sur la personne contribue aussi à créer une communication et une interaction positives au sein de l'équipe et à montrer de l'estime mutuelle. Même de petits changements peuvent avoir un grand impact: demander si une collègue va bien quand on sent qu'elle ne va pas bien, dire «merci» ou faire un compliment au bon moment...

Résister, utiliser les systèmes

Il y a encore un potentiel d'amélioration tant dans les relations entre les personnes que dans la gestion des changements dans le quotidien professionnel et l'utilisation des outils numériques. La documentation, par exemple, est souvent considérée comme une corvée. Or, comme l'a souligné entre autres Leonie Roos de la Haute école spécialisée bernoise, les prestations de soins ne sont pas visibles si elles ne sont pas documentées. Et la documentation permet aussi d'évaluer des indicateurs de qualité, tels que les chutes et les escarres. Une bonne documentation peut avoir une incidence sur les revenus des institutions. Heiko Mage Rätzsch, de la clinique de rééducation Tschugg (BE), explique: il faut documenter pour que les soins coûteux soient effectivement rémunérés. Dans le système DRG, il s'agit par exemple du code CHOP «soins complexes». Si le travail est documenté pour que le code CHOP puisse être activé, les soins passent d'un facteur de coût à un groupe professionnel générateur de revenus.
Tout cela suppose que les infirmières disposent des outils adéquats – et les utilisent, parfois aussi à leur avantage personnel. Par exemple un planning qui tient compte de leurs souhaits. Pour offrir un tel planning à ses collaborateurs, le groupe LUKS mise sur l'aide de l'IA: grâce à une application, les infirmières peuvent enregistrer leurs préférences en matière de jours et d'horaires de travail. Un outil d'IA aide à calculer les plans d'affectation pour que tous les employés aient un planning tenant compte autant que possible de leurs souhaits. Mais le système nécessite la coopération des employés: «Ceux qui n'enregistrent pas leurs préférences dans l'application se retrouvent avec un planning insatisfaisant», explique Rahel Herkenrath, informaticienne chez Luks. Il vaut donc la peine d'utiliser les outils proposés.

Au-delà des frontières

Le Congrès des soins infirmiers n'est pas seulement une occasion de se regarder le nombril, mais aussi de dépasser les frontières professionnelles et nationales: la procureure générale bernoise Annatina Schultz, engagée dans la lutte contre la traite d'êtres humains, a fourni des informations sur la situation juridique et les enquêtes couronnées de succès. Robin Rieser a présenté le «Toolkit Planetary Health» de la FMH, qui permet aux cabinets médicaux d'évaluer et d'améliorer leur impact sur l'environnement et le climat, une offre dont pourraient également bénéficier les organisations d'aide et de soins à domicile.
Christophe Debout, Elisabeth Potzmann et Marte Rime Bø ont apporté une perspective internationale. L'infirmier anesthésiste français et la présidente de l'association autrichienne des infirmiers ont rendu compte des obstacles (plutôt nombreux) et des succès (durement acquis) des soins infirmiers dans leurs pays. L'experte norvégienne en terminologie a quant à elle fait état d'une situation plus réjouissante: dans son pays, des plans de soins standardisés basés sur la classification ICNP sont utilisés à l'échelle nationale et facilitent le travail des infirmières dans le milieu clinique.

UNIT-Pflege: retour aux racines

«Tout manager des soins devrait se retrouver un jour dans un lit d'hôpital – même si ce n'est pas nécessairement dans un état aussi douloureux que le mien.» Après un accident de vélo, Michael Döring-Wermelinger s'est réveillé dans «son» hôpital cantonal de Lucerne (LUKS). «En trois heures, j'ai vu vingt personnes, mais une seule était diplômée. La personne principale à qui je devais m'adresser travaillait dans le service hôtelier.» Cette expérience a conduit le Chief Nursing Officer Döring à repenser radicalement son approche, à «exnover», à faire un pas en arrière. Loin des processus fragmentés, vers un modèle dans lequel les infirmières et infirmiers retrouvent un sens à leur travail, passent leur temps avec les patients et peuvent à nouveau répondre à leur exigence de «soins infirmiers holistiques». Depuis novembre 2024, «Unit Pflege» 2024 est un projet pilote accompagné scientifiquement par la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse.
Dans le modèle, une diplômée est responsable d'une «unité» de quatre à six patients. Elle gère l'ensemble du processus de soins infirmiers et c'est elle la principale interlocutrice des patients. Dans les unités de formation, les étudiants assument cette responsabilité vers la fin de leurs études, avec le soutien du formateur professionnel. Bien sûr, ce modèle a nécessité diverses adaptations, notamment en matière d'organisation des équipes et de ratio personnel/patients. Malgré des obstacles non négligeables, Michael Döring est convaincu que le modèle et les résultats lui donnent raison. Les patients et le personnel sont plus satisfaits, les étudiants sont même enthousiastes. Les heures supplémentaires ont pu être réduites, le temps consacré aux patients a augmenté et le taux de complications a diminué. Les réactions du public en disent long: «Si je pouvais travailler ainsi, je retournerais immédiatement dans la pratique!». 

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