«Les soins infirmiers sont la solution, pas le problème!» - Congrès suisse des soins infirmiers – 2 et 3 mai 2024 à Berne
Les difficultés financières des hôpitaux ont aussi jeté leur ombre sur le Congrès suisse des soins infirmiers, qui a réuni plus de 1300 personnes. Une résolution demandant que la crise financière ne pèse pas sur le dos des soins infirmiers a été adoptée. Mais le débat politique n’a pas été le seul point fort. Juste pour dire: en 2025, il vaudra la peine d’aller au cinéma.
Texte: Martina Camenzind, Nicole Eggimann, Sarah de Vantéry, Florence Michel
C’est avec un tonnerre d’applaudissements et une ovation debout que les participants ont adopté une résolution, le deuxième jour du Congrès suisse des soins infirmiers, à l’issue du presque traditionnel débat politique dans l’Arena. Ils ont ainsi posé des exigences claires aux décideurs de la politique cantonale et nationale, mais aussi aux institutions: au lieu de faire passer la crise de financement actuelle sur le dos des soins, l’initiative sur les soins infirmiers doit être mise en œuvre rapidement et intégralement. Ouvert le jeudi par Thomas Zeltner, président de la Croix-Rouge Suisse, le rendez-vous annuel organisé par l’ASI, animé par Cécile Simoness, a réuni plus de 1300 participants au Kursaal de Berne les 2 et 3 mai, dont environ 300 étudiantes, étudiants et stagiaires. Malgré les caprices de la météo, une ambiance radieuse et conviviale a régné pendant les deux journées. Présentations, ateliers, stands d’exposants et de sponsors, tables rondes et débat politique: un programme riche permettant de se retrouver, de partager savoir et compétences, et surtout d’appréhender l’avenir grâce à de nombreuses nouvelles pistes de réflexion en compagnie d’autres professionnels des soins infirmiers.
En accueillant les participants, Sophie Ley, présidente de l’ASI, a souligné le rôle pionnier de la Suisse. Alors que le Conseil International des Infirmières (CII) venait de publier dix revendications en vue de la Journée internationale des Infirmières du 12 mai, Sophie Ley a précisé que «la Suisse est le seul pays au monde à avoir inscrit les soins infirmiers dans sa Constitution». En effet, 29 mois après l’acceptation par le peuple de l’initiative pour des soins infirmiers forts lancée par l’ASI, l’article constitutionnel 117b oblige le Conseil fédéral, le Parlement et les cantons à en appliquer tous les points. «Les soins infirmiers sont la solution, pas le problème», a martelé Sophie Ley. Secrétaire générale de l’ASI, Yvonne Ribi a dressé l’état des lieux: les choses ont avancé, bien que la durée des processus parlementaires retarde la mise en œuvre. L’offensive de formation (paquet 1) sera effective dès le 1er juillet prochain, tous les cantons devront encore la concrétiser. Un milliard de francs de la Confédération sont à disposition. «Cela ne serait jamais arrivé si nous, les soins infirmiers forts, avec vous, n’avions pas réussi à faire voter cette initiative!», a remercié Yvonne Ribi.
La responsabilité propre, un combat de 24 ans
De plus, un combat que l’ASI menait depuis 24 ans (motion Joder), arrive à son terme: dès le 1er juillet, infirmières et infirmiers n’auront plus besoin d’ordonnance médicale pour fournir et facturer des prestations à la charge de l’assurance-maladie dans le domaine extrahospitalier. Que le droit d’évaluer les besoins en soins de leurs patients sous leur propre responsabilité, de fournir les prestations de soins nécessaires et de pouvoir les facturer leur soit enfin reconnu, quel immense progrès! Les applaudissements spontanés n’ont pas seulement été adressés à Yvonne Ribi, mais aussi à toutes les femmes et tous les hommes qui ont œuvré au cours des 24 dernières années.
Yvonne Ribi a énuméré les quatre priorités: dotation en personnel, conditions de travail, financement et réglementation. L’ASI demande une mise en œuvre complète de l’initiative sur les soins infirmiers – car seuls des effectifs adaptés aux besoins permettent des soins de qualité. Seules de meilleures conditions de travail permettront de prolonger la durée d’exercice de la profession. Il faut investir dans la planification et indemniser les remplacements à court terme. Pour que toutes ces mesures puissent être financées, des tarifs appropriés sont nécessaires pour financer les prestations de soins dans les entreprises. «Nous savons que les tarifs des soins sont trop bas dans tous les domaines. Les soins ne sont pas financés», dit Yvonne Ribi qui en appelle à des mesures rigoureuses et véritables. «C’est une question de volonté. Des possibilités de développement professionnel doivent être mises en œuvre, comme la réglementation du niveau master et du rôle des experts en soins infirmiers APN.»
Deux relais directs au Conseil national
Sophie Ley: «L’ASI est partie prenante des discussions politiques. Nous avons depuis l’automne dernier deux relais directs qui ont été élus au Conseil national: Farah Rumy (canton de Soleure) et Patrick Hässig (Zurich), qui travaillent encore au quotidien dans les soins infirmiers. Nous sommes plusieurs de l’ASI à disposer de pass pour entrer au Palais fédéral lors des sessions, ce qui nous permet de faire du lobbying de manière beaucoup plus forte dans le Conseil national et le Conseil des Etats, pour pouvoir expliciter les soins infirmiers. On doit aller de l’avant, on le doit pour les jeunes générations, pour demain». Chaleureusement accueillis par l’assemblée, Farah Rumy et Patrick Hässig ont clairement affirmé qu’il est extrêmement important pour eux de continuer à être actifs dans leur profession – elle comme enseignante professionnelle, lui aux urgences pédiatriques. Grâce à leurs contacts avec la base, ils connaissent la situation dans les divers domaines de soins. La cause infirmière peut aussi compter sur le fort soutien de la Conseillère nationale saint-galloise Barbara Gysi, présidente de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (et membre d’honneur de l’ASI), et de la Conseillère aux Etats bernoise Flavia Wasserfallen, qui siège dans la même commission de la Chambre des cantons.
En saluant le public du vendredi matin au Kursaal, Flavia Wasserfallen a souligné: «La première étape de la mise en œuvre, avec l’offensive de formation et la facturation autonome, a été adoptée par le Parlement et, grâce à la pression de l’ASI, des obstacles et des réserves inutiles ont été éliminés. La couverture médiatique et la visibilité des soins infirmiers ont augmenté, certaines institutions ont amélioré les conditions de travail et la 2e étape est en travail (le projet a été mis en consultation peu après le Congrès, pas vraiment à la satisfaction de l’ASI). «Et maintenant? Est-ce qu’on attend de la gratitude, est-ce la fin de l’histoire?» Non, nous sommes encore si loin du but et en réalité, tout le monde sait que le système de santé et son financement doivent changer fondamentalement pour que l’incroyable pression sur le personnel de santé cesse enfin. Cela implique non seulement la mise en œuvre complète de l’initiative, mais aussi l’élimination des mauvaises incitations et un financement résiduel approprié des soins de longue durée.
Outre la vaste Arena qui a aussi accueilli la discussion passionnante avec la cinéaste Petra Volpe dont le film consacré au quotidien d'une infirmière sortira en 2025, le pouls du Congrès a aussi battu dans quatre salles au rythme d’une soixantaine de présentations et d’ateliers tenus soit en français, soit en allemand, qui ont reflété l’extraordinaire diversité du domaine infirmier et de ses défis. Ainsi, pour ne citer quelques thèmes: les rôles clés des professionnels, les médecines intégratives, les formations pratiques en réalité virtuelle, la collaboration interprofessionnelle, la planification des horaires de travail, la durabilité et la sécurité dans les soins, l’intégration des novices, les soins de longue durée face à des pathologies de plus en plus complexes... Avec l’augmentation de l’espérance de vie et la génération du baby-boom qui franchira le seuil des 65 ans d’ici cinq ans, le vieillissement en santé doit être promu et la pratique infirmière avancée à domicile consolidée. Par exemple, l’étude menée par l’Institution genevoise de maintien à domicile (imad) au sein du projet VIeSA (Vieillissement en Santé, Genève) souligne la nécessité d’identifier et de clarifier les rôles du personnel infirmier et de lui offrir des environnements pédagogiques interactifs et pratiques. L’importance de renforcer les compétences du personnel a fait l’objet d’une session dédiée à l’implémentation de l’évaluation clinique infirmière au sein des Etablissements Hospitaliers du Nord Vaudois – sujet qui sera traité prochainement dans notre revue.
Ambassadeurs auprès de la population
Le thème «Rester dans la profession – Strong@work» a donné à Milena Bruschini, de la Haute école zurichoise de sciences appliquées (ZHAW), l’occasion de souligner qu’il n’existe malheureusement guère d’interventions générales pour prévenir et gérer le harcèlement sexuel envers le personnel infirmier, phénomène largement répandu et pourtant connu de longue date. Il faut urgemment développer des outils pour garantir la sécurité au travail et le maintien des infirmières et infirmiers dans la profession! Tiffany Bolzan, infirmière en neurochirurgie aux Hôpitaux universitaires de Genève, a pour sa part présenté son travail de bachelor consacré aux rôles infirmiers dans le traitement par psychotropes de personnes avec un handicap intellectuel. «Les comportements-défis sont une manière de communiquer la douleur. Nombre de techniques non-médicamenteuses peuvent remplacer la contention chimique», a-t-elle relevé.
Le système de santé, qui contribue au dérèglement climatique en générant une forte empreinte carbone (6-10%) a pourtant le potentiel de devenir beaucoup plus durable: l’atelier pratique et réflexif proposé par Myriam Guzman de l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source, a donné de multiples pistes. La Suisse, récemment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour «inaction climatique», se doit d’agir. Rappelons que la profession infirmière représente un des plus grands groupes professionnels ayant accès à l’entièreté de la population, qui lui accorde en retour crédibilité et confiance. Les infirmières et infirmiers, très bien formés, ont par conséquent l’opportunité d’endosser un rôle d’ambassadeur en influençant et améliorant la promotion et la prévention.
Save the date: le Congrès aura lieu les 7 et 8 mai 2024 au Kursaal de Berne.
Ce point fort est paru dans le numéro 6/2024 de Soins infirmiers, la revue spécialisée de l'ASI.
La revue spécialisée en soins infirmiers paraît 11 fois par an en trois langues. Les membres de l'ASI la reçoivent gratuitement. Les autres personnes intéressées peuvent s'abonner à la revue spécialisée. Un abonnement annuel coûte 99 francs.